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La muqueuse de la cavité buccale, au même titre que la peau est un tissu de recouvrement, une interface entre le milieu extérieur et l'organisme. Comme sur la peau, on peut y observer des aspects variés, classés par les dermatologues (d'où l'appellation de ce domaine très spécialisé) en " lésions élémentaires " : rouges (érythémateuses), blanches (kératoses), pigmentées, érosions, ulcérations nodules etc.
Les signes que l'on peut observer au niveau de la muqueuse buccale sont très riches, de surcroît directement accessibles par un examen simple.
L'information peut y être sciemment recherchée ou observée fortuitement. Elle permet le diagnostic et la prise en charge de pathologies diverses, locales et régionales ou reflétant l'atteinte d'organes éloignés, ou étant à la source de certaines lésions distantes. On parle de véritable fenêtre ouverte sur l'organisme et les maladies systémiques . N'y trouve-t-on pas l'expression d'affections hématologiques, endocriniennes et métaboliques, ophtalmologiques, neurologiques, psychiatriques, sans être exhaustif, et sans parler des maladies infectieuses tels le SIDA ou la syphilis et des cancers ?
Voici trois brèves observations pour illustrer ce propos.
Madame X, agée de 40 ans, vient consulter pour des lésions longtemps prises pour des " aphtes " évoluant depuis près d'un an, avec des périodes d'accalmie et d'autres d'exacerbation. Pendant ces crises, la douleur est importante et l'alimentation gênée. Les bains de bouche et les divers traitements pour aphtose n'apportent pas de guérison.
Dans les antécédents, Madame X rapporte une thyroïdite
auto-immune pour laquelle elle prend depuis 3 ans du lévothyrox.
L'examen clinique de la muqueuse buccale montre la présence de
plages érythémateuses, d'érosions et de véritables
ulcérations au niveau des deux faces internes de la joue. La gencive
est atteinte par l'inflammation, et sur la langue, on observe un réseau
et des plages blanches, également présentes en bordure des
plaies de la face interne de la joue. L'hygiène buccale est défectueuse,
probablement en raison de la douleur lors du brossage.
Un interrogatoire orienté permet de découvrir que cette patiente a récemment
consulté en gynécologie pour une irritation vulvovaginale. Un traitement
local par diprosone (corticoïde local) a été prescrit avec une nette amélioration.
Elle dit vivre une période difficile en raison d'un divorce il y a 18
mois.
Le diagnostic de lichen plan buccal (et probablement gynécologique)
est retenu sur les arguments suivants :
Ce lichen est dit actif, car très inflammatoire. C'est une maladie
dermatologique d'origine immune, non infectieuse (donc non contagieuse)
chronique.
Lors de la première consultation, des photographies sont prises,
une biopsie est réalisée (afin de confirmer le diagnostic
et de mesurer l'activité du lichen) et un bilan biologique est
prescrit (prise de sang pour rechercher d'éventuelles maladies
associées, surtout hépatiques).
Le traitement reposera sur l'application de corticoïdes localement, de manière dégressive jusqu'à guérison de la poussée, ce qui peut prendre plusieurs mois. L'hygiène buccale est améliorée par des détartrages et des conseils. Une prise en charge psychologique peut être nécessaire. Une surveillance étroite pendant la poussée puis au rythme de deux fois par an sera instaurée. Bien traité et bien surveillé, le lichen reste une maladie chronique tout-à-fait bénigne.
Monsieur Y, âgé de 52 ans, consulte pour un " gros aphte " du bord de la langue, présent depuis 3 semaines, ne guérissant pas malgré les bains de bouche et l'application de produits achetés en pharmacie. Il n'y a pas d'antécédent particulier en dehors d'une hypertension artérielle pour laquelle le patient prend un traitement efficace.
L'examen clinique découvre une ulcération (plaie) du bord gauche de la langue. Celle-ci est souple, douloureuse à la palpation. En regard de cette lésion, le bord tranchant et agressif d'une couronne de molaire attire l'attention. Cette couronne délabrée a probablement été fracturée il y a quelques semaines avec perte d'un fragment.
Diagnostic
Le diagnostic est évident : il s'agit d'une ulcération
d'origine traumatique.
Le meulage de la couronne et un traitement symptomatique (bains de bouche
antiseptiques et antalgiques) entraînera la disparition de la lésion
en deux semaines. Une radiographie panoramique sera réalisée
pour juger de l'état des dents. Une restauration définitive
de la couronne incriminée et de l'ensemble de la denture est encouragée.
Le cas de Monsieur Z, âgé de 56 ans est presque similaire au patient précédent : " aphte " du bord de la langue, évoluant depuis près de trois mois, douloureux, gênant l'alimentation. Ce patient fume près d'un paquet de ciagarettes depuis l'age de 20 ans, et sa consommation d'alcool est au delà du raisonnable (1 ou plusieurs " appéritifs ", 1/2 bouteille de vin à chaque repas, un ou plusieurs " digestifs ", souvent sur le lieu de son travail (chantiers du bâtiment).
D'emblée, l'examen montre l'absence de cause traumatique comme
dans le cas précédent. L'ulcération est surtout indurée
(son socle est dur et dépasse en taille, près de 3 cm, celle
de la plaie). Un ganglion est palpé dans la région sous-maxillaire.
La biopsie est réalisée lors de cette première consultation
et un traitement symptomatique est prescrit (bains de bouche antiseptiques,
antalgiques, antibiotiques). L'analyse de la biopsie montre qu'il s'agit
d'un carcinome épidermoïde, c'est-à-dire un cancer
du bord de la langue
Un bilan local, régional et général sera réalisé avant de proposer une intervention chirurgicale de la lésion et des ganglions. Un traitement complémentaire par chimiothérapie et/ou radiothérapie pourrait s'avérer nécessaire, fonction du bilan et des constatations per et post-opératoires.
Ce cancer étant de petite taille, découvert relativement rapidement après son apparition, son pronostic est bon, et la guérison totale peut être obtenue. L'arrêt de l'intoxication alcoolo-tabagique sera recherchée, et une surveillance de plusieurs années sera instaurée.